En 1980, lorsque j’ai terminé ma maîtrise en Études régionales à l’UQAC, je croyais que nous aurions des gouvernements régionaux prochainement, parce que ça faisait sens que chacune des régions, puisse gérer un certain nombre des responsabilités en tenant compte de sa réalité et de ses besoins. L’autonomie régionale, me semblait beaucoup plus porteuse d’avenir que la dépendance au fédéral ou au provincial. Tout en étant optimiste, mais réaliste, je me disais qu’il faudrait se donner au moins une dizaine d’années pour y parvenir. Quelques 43 ans plus tard, je suis obligé de constater, que nous n’avons pas avancé d’un quart de pouce à cet effet. Non seulement nous n’avons pas avancé, nous avons même reculé lors de l’abolition, par le gouvernement Couillard, des CRÉ (Conférence Régional des Élus) qui au moins nous permettaient de nous rassembler et de nous concerter.
C’est malheureux, mais il faut le dire, nous n’avons aucun pouvoir de décisions sur ce qui nous entoure, que ce soit en matière de gestions des ressources naturelles, de santé, d’éducation, de développement de la filière aluminium ou encore de celle de la forêt. Tout se décide à l’extérieur, soit par nos gouvernements ou des entreprises dont le siège social est de plus en plus éloigné de nous.
En 2005, lors de la Consultation populaire sur la gestion des ressources naturelles, dont j’avais fait la promotion à titre de préfet de la MRC Maria Chapdelaine, tenue en même temps que les élections municipales j’ai cru qu’il se passerait quelque chose. Avec un résultat de 92,5% des citoyens et citoyennes du Saguenay-Lac-Saint-Jean en faveur de la gestion de leurs ressources naturelles, nous avions un mandat clair et démocratique pour négocier le rapatriement de cette dite gestion en région. Il y a bien eu quelques élus qui ont fait des déclarations de principe à cet effet, mais pas de véritables négociations qui auraient changé la donne. Nos élus locaux ont démontré une fois de plus qu’ils étaient moins progressistes et moins régionalistes que leur population. Il allait falloir encore se contenter de manger notre petit pain.
J’ai alors pensé que le nécessaire pouvoir aux régions pourrait passer par la création d’une deuxième chambre au Parlement du Québec, que j’appelais la Chambre des territoires. Elle serait l’équivalent du Sénat aux États-Unis, où l’on retrouve deux sortes de « députés » : une chambre composée de députés proportionnels aux nombre d’habitants, que l’on appelle la Chambre des représentants et une autre qui est le Sénat, dans laquelle chacun des États quel que soit la taille de sa population, possède le même nombre de sénateurs, soit deux. Aux États-Unis, s’il n’y avait qu’une chambre, les États les plus populeux, auraient le contrôle horizontal et vertical sur l’ensemble des décisions. Comme il faut que les lois passent dans les deux chambres, le Sénat peut contrecarrer une décision de la Chambre des représentants. Une Chambre des territoires au Québec, aurait pu avoir la même fonction, en prenant faits et causes pour les grands territoires, moins densément peuplés.
C’était une belle idée, mais cela aurait pu alourdir un système politique qui est déjà très lourd tout en demeurant centralisé à Québec.
Pour avoir une véritable décentralisation qui sera efficace et peu coûteuse, il vaut mieux avoir des gouvernements régionaux légers, qui seront déterminés par et pour les régionaux en fonction de leur réalité et de leurs besoins. Pour que ça fonctionne et que ce ne soit pas un palier de plus de gouvernement, il faut que ça s’inscrive dans un nouveau modèle de gestion décentralisée, dans lequel il n’y a pas de responsabilité partagée entre plusieurs paliers de gouvernement. Il faut que ce qui sera local, soit local, tout comme ce qui sera régional demeurera régional.
Une société pour se développer, a besoin de se réunir, de se concerter, de se mobiliser et d’adopter un plan d’action commun. Pour ce faire, elle a besoin d’un lieu de discussion et de concertation, un peu comme l’était l’ancien Conseil Régional de Concertation et de Développement et également l’ex. Conférence Régionale des Élus, dans un degré moindre.
Ce lieu de discussions, mais également de décisions devrait réunir tant nos élus locaux, régionaux, nationaux, que fédéraux, mais aussi des représentants de la société civile des divers milieux que ce soit du point de vue : social, économique, écologique, culturel, tout comme de l’éducation et de la santé.
Cette « Assemblée régionale », occupée par des citoyens et citoyennes engagés, délégués par leur organisation, sur le modèle de l’ancien CRCD (Conseil Régional de Concertation et de Développement), pourrait devenir notre Assemblée législative, d’où émergerait nos lois et orientations en matière de développement régional.
Il devrait y avoir également un Exécutif qui mettrait en œuvre les lois provenant du Législatif et qui dirigerait le gouvernement régional. Il pourrait être formé d’un Président ou d’une Présidente élu au suffrage universelle par l’ensemble de la région, des 5 préfets élus au suffrage universel dans chacune des Mrc et de ville Saguenay et du chef la communauté de Mashteuiatsh.
Un mécanisme d’initiatives référendaires devrait y être associé, afin que la population puisse avoir le dernier mot sur des projets d’envergure. Un comité consultatif, de sages reconnus pour leur connaissance, leur expérience et leur bons sens, devrait conseiller au besoin nos futurs élus régionaux.
Une constitution régionale, inspirée des constitutions des Cantons en Suisse, décrivant le fonctionnement de ce gouvernement régional, devrait faire l’objet d’un référendum appuyé minimalement par le 2/3 de la population, avant la mise en place du gouvernement régional.
Face à des gouvernements de plus en plus coûteux, inefficaces et éloignés de la population, la mise en place de gouvernements régionaux, représente une alternative essentielle pour rapprocher le pouvoir des citoyens et citoyennes et leur redonner confiance envers le monde politique. Il vaut sans doute mieux cependant, d’en faire une expérience pilote, avant de répandre à l’ensemble du Québec cette nouvelle façon de gouverner.
Le premier pas d’un futur gouvernement régional pourrait être la négociation du rapatriement de la gestion des ressources naturelles en région, de même que des redevances sur ces ressources naturelles, à la hauteur de 50%. C’est à partir de ces redevances que devrait être financé notre futur gouvernement régional.
Actuellement, ce sont les redevances sur les ressources naturelles en région qui sont les principaux revenus du Fonds des générations. Dans les dernières années, c’est à peine si nous avons reçu au Saguenay-Lac-Saint-Jean, 3% des redevances sur les ressources naturelles, produites chez nous. Je veux bien être solidaire avec le reste du Québec, mais pas dans un partage totalement inéquitable.
C’est ainsi, que nous devons établir le principe à l’effet, que les redevances sur les ressources naturelles, doivent revenir en grande partie dans les régions où elles ont été produites, afin notamment d’être réinvesties dans l’environnement qui souvent a été perturbé en partie ou définitivement. Qu’une partie importante soit réservée au Fonds des générations de nos descendants et descendantes, j’en suis, mais certainement pas pour baisser les impôts de l’ensemble des Québécois et Québécoises à court terme. S’il y a une chose qu’il faut retenir dans la gestion des ressources naturelles, c’est bien que l’on doive en faire une gestion durable et non un puits sans fond pour des cadeaux électoraux à court terme.
Gens du Saguenay-Lac-Saint-Jean, nous avons la capacité, la compétence et l’audace de devenir les leaders québécois de la démocratisation par la décentralisation de notre système politique. La mise en place d’un premier gouvernement régional, pourrait avoir un effet catalyseur sur l’ensemble du Québec, en ce qui a trait à l’émergence d’un nouveau système politique efficace, moins coûteux, plus responsable, plus durable et plus démocratique.
C’est à ce rendez-vous historique que je vous convie.
Denis Trottier